Comment vivre et créer une ferme perlière aux Tuamotu ?
Le récit de l'expérience de Nathalie Le Gloahec fondatrice d'Ô Perles du Paradis
J'ai décidé de partager avec vous cette expérience incroyable et unique de partir vivre sur un atoll en Polynésie française dans le but de créer une ferme perlière.
Deux ans auparavant je travaillais encore à Paris dans le trading pétrolier. J'achetais et je vendais des carburants pour le 1er distributeur français. Je passais mon temps au téléphone et sur les marchés de la bourse de Londres et de Paris pour suivre la géopolitique internationale et les cours du pétrole et des devises.
[Ma vie aux Tuamotu pour créer une ferme perlière] - Épisode 4
Après avoir construit le 'hangar-maison' et après avoir construit les lignes de collectage et d'élevage des huîtres dans le lagon, nous voilà sur un nouveau chantier.
Finir une maison 'en dur'. Elle mesure 5 m sur 5 m donc 25m2 et est surélevée d'environ 80 cm. C'est important parce que nous ne sommes pas à l'abri de subir une tempête tropicale voir un cyclone. Et là, non seulement les vents sont extrêmement forts mais la houle de l'océan déferle sur l'arrière du motu et dans les hoas (passes peu profondes situés entre chaque motu).
Conséquence directe : le niveau du lagon augmente drastiquement et les vagues naissent évidemment. Et quand on habite sur un îlot dont le point culminant est à 1 mètre on se trouve assez dépourvu, c'est le moins qu'on puisse dire !
Vous l'avez compris nous avons vécu une tempête tropicale : nous n'avions aucun contact avec l'extérieur donc nous ne savions pas combien de temps cela allait durer et quelle serait l'intensité de cette tempête. En tant que bretonne qui a grandi sur une falaise exposée aux vents de Sud-Ouest qui amènent les pires dépressions je pensais être aguerrie. Sauf, que là, contrairement aux maisons bretonnes, nous n'étions pas complètement équipés pour faire face à quelque chose de très gros. Le niveau du lagon monte tellement que l'eau envahit la 'terre'. Il faut tout mettre à l'abri.
Un énorme 'bout' (corde) entourait la maison en dur et y étaient accrochées les bouées en stock à terre et tout ce qui aurait pu flotter au cas où ... le reste était mis à l'abri dans la maison où on pouvait plus bouger ! J'avais préparé 4 ou 5 énormes pains pour subvenir à nos besoins primaires ...
Les cocotiers plient sous la force du vent, tout vole et il ne reste plus qu'à espérer que ça ne sera pas la fin ... ça aura duré quelques jours, je ne sais plus exactement combien. Puis le calme est revenu. Ouf ! Le soleil a séché tout ce qui était trempé soit à peu près tout ce que nous avions. Le lagon a retrouvé son niveau normal et son calme et nous avons pu respirer normalement.
C'est aussi en vivant ce genre d'expérience que nous pouvons savoir comment nous réagissons en cas de crise. Honnêtement j'ai eu très peur quand j'ai vu le niveau de la mer monter et envahir tout le motu. Mais comme nous étions 'seuls au monde' il faut mettre cette peur en sommeil pour trouver des solutions rapidement et envisager le pire scenario pour être prêt si jamais ...
Quand tout est revenu à la normale j'ai pu aller me reposer dans notre hamac installé sous un aito.
Puis nous pouvions de nouveau prendre le bateau, aller au village, parler, échanger et apprendre encore un peu plus de la vie aux Tuamotu.
A suivre ...
[Ma vie aux Tuamotu pour créer une ferme perlière] - Épisode 7
Je reprends les épisodes après quelques temps pour l’inventaire et autre comptabilité pour bien clôturer 2020.
Lors du dernier post j’ai évoqué les communications dont nous disposions sur l’atoll. Lorsque nous sommes arrivés pour nous installer en 2000 j’ai découvert que les deux moyens de communiquer avec l’extérieur étaient la radio VHF ‘radio Mahina’ et le courrier postal.
Ok alors je suis contente car je ne connais pas et je ne m’inquiète pas plus que cela.
Les jours passent et nous sommes coupés de toutes communications sur le motu et franchement c’est délicieux ! Je ne pensais pas aimer autant l’isolement. Je vous rappelle que 2 ans avant je travaillais encore à Paris avec le combiné du téléphone quasiment greffé à mes oreilles car j’achetais et je vendais des carburants pour le 1er distributeur français. Je passais donc ma vie à négocier par téléphone. Et là, plus rien. Plus de sonnerie. Plus de messages. Plus rien. Au début c’est bizarre comme s’il manquait un élément essentiel de la vie. Puis ça devient peu à peu normal.
Au bout de quelques temps, quand l’exploitation de la ferme prend forme il nous faut quand même communiquer avec Tahiti et la famille de mon compagnon pour organiser l’arrivée d’une station de collectage d’huîtres venant d’un atoll voisin. Nous allions les mettre en élevage et les préparer pour les greffer.
Et c’est là que je découvre ‘en vrai’ les appels par radio Mahina. Les ondes radiophoniques de la VHF couvre toute la Polynésie ! C’est-à-dire, pour vous donner une meilleure idée, c’est la surface de l’Europe ! Il s’agit de la radio VHF bateaux donc de la radio utilisée par tous ceux qui sont en mer et par les habitants qui ne sont pas reliés par des lignes téléphoniques.
Comment est-ce que ça se passait sur Ahe ? Il fallait d’abord se rendre au village. Vous le voyiez sur l’image satellite ci-dessus. C’est le gros motu à gauche. Nous habitions sur le plus petit motu à droite. Donc nous pouvions nous y rendre soit en bateau en arrivant au quai du village soit à pieds par le platier. Le platier est un plateau de corail quasiment plat où je pouvais marcher en ayant de l’eau jusqu’aux genoux. Donc très accessible avec des chaussures en plastiques évidemment pour ne pas se couper les pieds. J’avais 20 mn de marche environ pour rejoindre l’arrière du motu du village.
Au village, la station radio était gérée par Clément dans une pièce attenante à l’infirmerie de Jérôme et à la mairie. Concrètement nous arrivions très tôt – 6h du matin - pour prendre notre tour dans la file d’attente des appels. Nous donnions le numéro de téléphone de notre correspondant et il nous fallait attendre qu’un créneau se dégage sur Ahe pour que Clément puisse composer le numéro et nous mettre en contact. Ça parait simple et ça l’est bien sûr. Il arrivait quand même très souvent qu’après avoir attendu quelques heures nous tombions sur la messagerie de notre interlocuteur ! Ah carabistouille ! Bon il fallait donc donner un RDV téléphonique pour le lendemain matin mais sans pouvoir préciser l’heure évidemment car nous ne pouvions la connaître à l’avance.
Ça m’a appris à prendre mon temps ! Comme dit un proverbe africain ‘vous avez les montres et nous avons le temps’. Durant toute cette aventure j’ai eu le temps et plus de montre … C’est délicieux !
Il y avait 3 chaises en plastiques devant le local de Clément et ça formait un vrai chouette salon de discussion sur la terrasse. C’était un ‘réseau social’ très sympa ! J’ai appris plein de choses en attendant là des heures. C’est là, notamment, que j’ai découvert que les émissions de télés en France devenaient très bizarres … Oui ceux qui avaient assez de panneaux solaires pouvaient regarder la télé. Donc les copines me demandaient si j’avais déjà vu des gens enfermés dans une grande maison avec piscine et des caméras partout 24h sur 24 pour les filmer. ‘Quoi ? Qu’est-ce que vous me racontez ?’ ‘Mais si ! Il y a une fille qui s’appelle Loana …’ OK j’ai donc entendu parler du ‘Loft’ pour la première fois en attendant de pouvoir téléphoner sur la terrasse de Clément ! Qu’est-ce qu’on a rigolé car vu des Tuamotu c’était complètement dingue …
Puis début 2001, la campagne des municipales a commencé. Un des enjeux était l’installation d’une cabine téléphonique au village et une autre sur le motu de l’aéroport, à l’exact opposé de l’atoll.
C’est vrai que franchement ça devait simplifier la vie des habitants et des travailleurs. Ces derniers ne pouvaient pas joindre qui que ce soit car ils n’étaient libres que le week-end. En outre, élément non négligeable, ça allait rendre les conversations beaucoup plus discrètes car sur la VHF de Radio Mahina tous ceux qui étaient connectés entendaient la conversation ! A toi, à moi, ne pas oublier d’appuyer sur le bouton pour parler … Tout le monde savait donc à qui la station de collectage avait été achetée, quand elle était livrée et patati et patata à chaque conversation !
La cabine téléphonique a finalement été installée en mars 2001. Alléluia ! Elle a été implantée dans un endroit très ensoleillé car elle fonctionnait avec des batteries qui étaient alimentées par des panneaux solaires. Elle était située au carrefour de tous les passages pour être bien visible de toutes et tous. Elle était donc devant la mairie qui servait aussi de salle de classe pour les enfants.
Je ris encore en y repensant car, quand vous aviez eu la chance de pouvoir acheter une carte de téléphone disponible au magasin chez Arii (ou plusieurs si vous vouliez appeler en France !), vous deviez là aussi attendre parfois (moins longtemps tout de même). Et surtout l’entourage, notamment ceux qui étaient en classe à côté, se régalait d’écouter les conversations parce que la porte était forcément ouverte si vous vouliez respirer et ne pas mourir de chaud !!! Bref, téléphoner relevait de l’aventure à cette époque. Il fallait du soleil pour alimenter les batteries mais c’était un sauna à l’intérieur de la cabine toute vitrée donc les conversations ne duraient jamais longtemps !
Souvent le dimanche elle ne fonctionnait plus car les batteries étaient à plat. Bon ce n’était pas grave il suffisait de revenir un autre jour …
Quant au courrier, cela fonctionnait plutôt bien. Ça prenait son temps évidemment mais ce n’était pas grave. Chez Clément, il y avait une bannette pour le courrier du village et une autre pour les motu. J’adorais donner mon adresse : Nathalie LG atoll de Ahe Tuamotu Polynésie française.
En avril 2001, j’ai eu envie d’écrire à mon grand-père qui était à Brest. Je n’avais plus de timbre à coller sur l’enveloppe. Clément n’en n’avait plus non plus. Aïe. Alors il m’a conseillé de mettre 100 francs pacifiques dans une autre enveloppe en espérant qu’à La Poste de Manihi, l’atoll voisin, ils acceptent de mettre ce fameux timbre sur l’enveloppe. C’était très important pour moi. Ils l’ont fait car la lettre est bien arrivée quelques semaines plus tard ! ouf !
C’est une expérience fabuleuse car, même si aujourd’hui j’ai replongé dans le monde des médias et des connections immédiates et permanentes je repense souvent à cette expérience pour essayer de garder un certain recul.
A suivre…
Nathalie
[Ma vie aux Tuamotu pour créer une ferme perlière] - Épisode 8
Même lorsque nous décidons d’aller vivre aux Tuamotu, la nourriture reste un bien précieux. Comment et de quoi nous nourrissions-nous sur notre joli motu ? Quelles sont les sources d’approvisionnement possibles ? Le lagon est évidemment notre vivier à poissons, au village il y avait deux magasins et le Dory, la goélette, livrait les colis envoyés de Tahiti. C’est essentiellement ainsi que nous avions de la nourriture. Au tout départ, lorsque nous avions uniquement un réchaud à gaz et une casserole les menus n’étaient pas très variés. Nous cuisions du riz car nous recevions un sac de riz de 20 kg par mois à peu près. Juste un détail : il nous fallait mettre ce gros sac dans un fût en plastique vide qui avait un couvercle vissable et dévissable car nous n’étions pas vraiment seuls à habiter ce motu. Le riz était la base de notre nourriture et ensuite nous essayions de diversifier … Pas facile ! Assez naturellement quand on pense aux Tuamotu on imagine manger du poisson. Je n’ai pas été déçue : nous en mangions matin, midi et soir. Avec du riz bien entendu. Sur la photo il s’agit d’un joli poisson cru au lait de coco. Nous avions le poisson, les citrons que nous recevions par sac de 30 kilos et le lait de coco que nous pressions nous même bien sûr. Je préférais le poisson cru en sashimi mais pas toujours facile selon les poissons pêchés …
Quant aux légumes, genre tomates, carottes, oignons j’en ai beaucoup rêvé pendant 2 ans : soit nous n’en avions pas du tout soit rarement soit un peu car nous avons créé un mini ‘fa’apu’ au bout de quelques mois. Qu’est-ce donc que ce truc ? C’est un mini potager.
Il s’agit de découper un fût de gasoil en 2. Evidemment il vaut mieux laisser les résidus de gasoil s’évaporer d’abord. Ensuite, il a fallu aller plusieurs fois sur un motu au fond de l’atoll pour récupérer un peu de terre car là où nous habitions le motu était tellement bas et petit qu’il n’y avait vraiment pas beaucoup de végétation : donc pas d’arbres, donc pas de feuilles qui tombent donc pas de humus donc pas de terre !
Pourquoi faire cela dans un fût ? Parce qu’encore une fois nous ne sommes pas seuls sur le motu et qu’il s’agit de protéger les graines que nous avions plantées avec un peu de hauteur. Je pensais que cela suffirait. J’étais tellement heureuse de voir pousser les plants de tomates et les concombres. Quelle joie de voir une première tomate grossir et rougir … Je n’ai pas pu en profiter. Nos compagnons de motu la regardaient sûrement avec envie aussi … Ils l’ont mangé et toutes les autres. J’ai dû aller à Papeete acheter du grillage pour protéger nos plantations sinon les rats ne nous laissaient rien ! Ah oui ils font partie de la vie des Tuamotu …
Pour les fruits, heureusement nous recevions des oranges et des pamplemousses. J’aurais aimé manger des papayes, des mangues ou autres pommes car l’acidité des agrumes ne me convenait plus quand j’étais enceinte. Parfois j’arrivais à troquer des agrumes contre d’autres fruits sur le quai du village le jour où le Dory, la goélette, nous livrait. Ou contre des œufs ! Un vrai miracle ! Quand nous n’avions pas le temps de pêcher il fallait se tourner vers un plan B. La première fois que mon compagnon a cuisiné du punu puatoro je ne savais pas de quoi il parlait. Parce que ‘punu puatoro’ me semblait être un joli nom je ne me suis pas du tout méfiée. Avant de manger et de bien manger je ne savais pas que c’était du corned beef. Oui je sais que vous allez dire ‘hummm c’est bon avec du uru, des oignons grillés, des petits pois parfois et/ou du lait de coco’. Toujours est-il que, très sensible aux odeurs, je ne supporte pas bien celle de la viande en boîte qui cuit. Il faut bien avoir des limites … Sur le motu et avec un réchaud c’était pratique car la boîte de conserve était ouverte et directement mise sur le feu du réchaud. Mais il n’y avait pas d’oignons ni de uru évidemment. Ah oui c’était sommaire mais ça vous le saviez déjà !
Je préparais donc du pain comme sur la photo avec 500 gr de farine, de la levure et de l’eau du lagon donc pas besoin d’ajouter du sel. Nous agrémentions cela avec du beurre de cacahouètes et de la confiture de fraise pour notre gouter après avoir travaillé dur sur les lignes d’élevage des huîtres. C’était notre petit moment sucré ! Pas tous les jours bien sûr. Avec cela j’ai découvert le sirop rouge. Je ne crois pas qu’il faille savoir sa composition tellement c’était chimique. Mais je vous avoue avoir craqué car avec de l’eau de pluie et un filet de citron c’était un cocktail divin !!! On apprend à apprécier tout ce que l’on a aux Tuamotu.
Le poisson restait la nourriture principale. Nous en avons mangé beaucoup et … avons ingéré la ciguatera. C’est un poison qui se trouve sur les coraux. Les poissons grignotent le corail et nous grignotons les poissons. Quel est l’impact sur notre corps ? ça gratte au niveau des articulations : coudes et genoux et ça donne des migraines à se taper la tête contre le premier cocotier venu ! C’est vraiment désagréable. La toxine reste dans le corps ad vitam eternam. Il suffit de manger à nouveau un poisson ‘gratteux’ pour avoir une nouvelle crise. Il faut donc bien faire attention aux poissons que l’on mange aux Tuamotu. Parfois, quand nous allions téléphoner au village, nous achetions une bouteille de Coca Cola au magasin. C'était la fête ! Son prix devait avoisiner les 800 francs pacifiques (près de 7 euros). On s'en fichait tellement c'était chouette de boire autre chose que de l'eau. Ou, avant que je sois enceinte, une Hinano ou une Heineken afin de faire une folie !!! A part cela, nous n’avions pas vraiment d’extra les premiers mois. Alors quand je devais aller à Tahiti faire les échographies je me régalais d’avance en imaginant ma liste de courses à mettre en colis au Carrefour Punaauia. Puis je mettais les colis et la glacière sur le quai du Dory à Papette pour la livraison de la semaine suivante. C’était le luxe et l’opulence quand nous recevions ces fameux colis ! Quelle fête ! Comme quoi quelques fruits, des légumes, de la vraie viande, des tablettes de chocolat et une bonne confiture suffisaient à mon bonheur évidemment avec les bonnes tranches de pain pétri à la main et cuit au four de la gazinière.
A suivre …
Nathalie